Boris Chouvellon — Running on empty

Exposition

Sculpture

Boris Chouvellon
Running on empty

Passé : 14 octobre 2011 → 8 janvier 2012

Le [mac] musée d’art contemporain de Marseille présente la première exposition personnelle dans un musée de l’artiste Boris Chouvellon.

Running on empty1 présente pour l’essentiel des œuvres inédites ou réinterprétées. Elle réunit les photographies, vidéos, sculptures et installations réalisées depuis 2005.

La plupart des sculptures et installations sont faites de béton et d’acier. Leur matérialité est dense et solide. La référence à la construction, récurrente jusque dans les images du bétonnage des paysages ou dans les vidéos qui mettent en scène des engins de chantier, est devenue comme la signature de l’artiste. Les œuvres ont cette brutalité mêlant brutalité, élégance et radicalité qui agit à la fois comme une mise à distance en même temps qu’elle provoque un véritable choc visuel et sensible. La puissance plastique est troublante alors que les titres jouent sur le sens des mots et renforcent le caractère poétique autant qu’inattendu des jeux de références complexes organisés par Boris Chouvellon.

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Boris Chouvellon, Sans titre, 2011 Ensemble d’échelles en béton armé

Ainsi Ma ruine avant la vôtre de 2009, magnifique étoile de béton empalée sur ses fers (à béton), étoile déchue du star system, échappe à la citation « pop » immédiate probablement grâce au souvenir de l’image fameuse de la tonsure en étoile marquant le crâne de Marcel Duchamp. Cette œuvre clairement annoncée comme autobiographique, autant par son titre que par ses constituants, indique l’importance des références historiques et politiques qui sont au cœur du projet de Boris Chouvellon. En même temps, l’hommage qu’elle rend indirectement à Marcel Duchamp et Man Ray indique la préférence de l’artiste pour un mode d’expression de ces références qui se réalise par des signes qui relèvent prioritairement du champ de l’art. Ainsi l’on comprend mieux pourquoi cette œuvre puisse évoquer aussi bien les représentations de Saint-Sébastien, une certaine forme de vanité contemporaine que, plus précisément encore, « les ruines par anticipation »2 chères à Robert Smithson.

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Boris Chouvellon, Ma ruine avant la votre, 2009-2011, 0 Béton armés fers à bétons — 500 × 500 × 400 cm

Le thème de la vanité se retrouve dans The small illusions, de 2008, un ensemble de plusieurs colonnes constituées de trophées de sport. L’assemblage tête-bêche donne une forme brancusienne à leur silhouette. Mais ici la déprime du titre répond sans équivoque à l’envol de la citation. Dans une version adaptée à la commande d’un mécène3, l’exploit sportif répété est traité avec ironie, alliant le kitsch du quotidien au décorum baroque, lorsque ces mêmes colonnes supportent le baldaquin destiné au lit d’une chambre d’hôtel.

Dans un autre registre, la ruine devient le signe emblématique du devenir collectif. Globalement d’abord avec Reponcer le monde, de 2009, constituée d’une benne à déchets industriels dont le fond a été poncé jusqu’à refléter la planisphère dans le miroir métallique de l’acier mis à nu. Ou bien localement avec Infinita Riviera, de 2011, épave de jet-ski en béton accompagnée d’un empilement de plaques de marbre brisées provenant d’une villa niçoise, probable souvenir d’études à la Villa Arson. Dans l’une comme dans l’autre, c’est un processus formel révélant l’absurdité d’un monde qui va à sa perte. Le travail prend une dimension critique et signifie avec les moyens des artistes de l’Arte-Povera : radicalité conceptuelle, matériaux pauvres, procédés simples, esthétique sophistiquée, légèreté poétique, la nécessité de l’engagement artistique.

Un engagement qui prend forme dans un projet ambitieux en rapport au paysage, au temps et à l’espace, exprimant une sorte de saturation, de dégoût de lassitude et de banalité, avec la série d’images des Sea front traduit en un lapsus par Front de mort, 2003-2010. Ces vues du bétonnage des côtes méditerranéennes, à l’instar du bétonnage lui-même, sont sans cesse augmentées à la manière des Playgrounds de Peter Friedl4. Cet ensemble d’images montre aussi la frontière entre la mer et la terre dans une sorte de road-movie en process, déplacement autant physique que mental. Dans une autre vidéo Sans-titre, de 2010, la privatisation du paysage collectif est évoquée par l’artiste dans un lent mouvement latéral par lequel il entreprend de barrer tout le champ de vision ouvrant sur le large, en portant alternativement deux grilles de chantier qui en interdisent l’accès. Action aussi dérisoire que définitivement éclairante sur une éternel conquête de territoire, qui pourrait aussi être interprétée comme l’impossibilité d’en interdire les rives à ceux qui arrivent par la mer.

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Boris Chouvellon, Sans titre, 2007-2011, 0 Série de photographies contrecollées sur dibond et encadrées — 120 × 80 cm

La mise en évidence des réalités du monde se poursuit à l’échelle politique avec la série des pavillons nationaux, emblèmes misérablement déchirés, diminués, exténués. Cette série de photographies de drapeaux, initiée en 2007, évoquait la disparition de l’idéal national dans la globalisation, aujourd’hui d’autres réalités, issues de la crise financière mondiale de 2008 et de la rechute de l’été 2011, en orientent le sens. La question économique omniprésente dans le monde d’aujourd’hui se reflète dans le travail de Boris Chouvellon de manière totalement dadaïste avec Détournement de fond,5 piscine rustique de béton peint en bleu azur réalisée en 2010 et dressée verticalement, à la manière de celles que l’on trouve dans les zones commerciales de l’entrée des villes. La souriante image du rêve de bien-être petit bourgeois bascule ici dans la grimace tant la rugosité de l’objet est repoussante. La piscine dressée, monumentale, impressionnante en position verticale, devient pure expression de la dictature du tout économique. Le titre de l’œuvre renforce cette idée et dresse le totem économique comme un mur.

Dans le rapport visuel et conceptuel que le travail de Boris Chouvellon entretient avec l’économie et la politique d’autres œuvres viennent compléter son dispositif critique et poétique. Ainsi Sans-titre, de 2009, transpalette pendu au plafond par sa poignée prend le parti de sacrifier l’outil, symbole du déplacement des marchandises, à la place du travailleur. Dans une autre œuvre sans-titre, de 2011, la photographie zénithale de quatre isoloirs dévoile le caractère sournois du risque totalitaire qui menace la démocratie. Enfin le sans-titre, de 2011, un moulage de la carte de France en relief sur la face d’un pavé de béton est tout autant épitaphe que le projectile.

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Boris Chouvellon, Sans titre, 2009 Transpalette, cable

Boris Chouvellon observe ses contemporains avec une attention bienveillante cherchant à saisir, comme le faisait Jacques Tati, tout le merveilleux et aussi tout le non-sens du cadre dans lequel ils évoluent. Style reconstruction, de 2011 est un bel exemple du résultat de ses observations. Ce micro-monument de bac-à-sable, entre château, cathédrale et tombeau, initialement créé dans un champ6 est aujourd’hui réinstallé dans le hall d’entrée du [mac]. La construction en panneaux préfabriqués de béton ajouré, servant à la clôture et la décoration des pavillons et jardins, évoque la naïveté des architectures enfantines faites d’assemblage de modules identiques. En même temps, elle montre l’extrême pauvreté des éléments décoratifs produits industriellement.

Toujours dans le même registre des gloires minuscules, Boris Chouvellon livre peut-être de manière plus involontaire sa fascination pour le caractère héroïque des gestes vains dans ses travaux vidéo comme Alchimie inversée, de 2007 et le dernier produit spécialement pour l’exposition. Tous deux sont réalisés à l’aide d’un rouleau compresseur, autre référence aux artistes du land-art et à Robert Smithson en particulier. Cependant il existe comme un parfum de jouissance qui vient envelopper ces écrabouillages de confiseries ou de globes terrestre parodiant les destructions massives et démonstratives des produits de marque copiés illégalement. L’alchimie inversée voit l’or des emballages de chocolat se dissoudre dans le marron de la matière broyée. Le symbole sacré disparaît en même temps que l’obscurité se répand au fur et à mesure que les globes lumineux explosent sous le rouleau du pachyderme mécanique. Aucun espoir de salut, dans sans-titre 2005 / 2011, les échelles aussi ont perdu leurs barreaux.

1 Tourner à vide

2 A propos de la conférence de Robert Smithson de 1972 accompagnée d’une projection de diapositives des vues de l’hôtel Palenque, hôtel en ruine avant même d’être achevé. In supplément au catalogue de l’exposition Robert Smithson, le paysage entropique 1960/1973, au [mac] musée d’art contemporain de Marseille du 23 septembre au 11 décembre 1994

3 Fondation Vacances Bleues

4 Exposition Peter Friedl — Travaux 1964-2006 au [mac] musée d’art contemporain de Marseille du 30 juin au 16 septembre 2007

5 Exposition Paysages chavirés, Voyons voir, Château Grand Boise, Trets, printemps-été 2010

6 Exposition Transitives, Deux Angles, Flers, printemps 2011